On a envie de répondre par une pirouette du genre : voilà une bonne question. Il est cependant difficile de s'en satisfaire. Tout comme le temps, nous la percevons sans savoir réellement la définir ; dès notre plus jeune age nous savons faire la différence entre l'inerte et le vivant. Pendant des siècles, on a imaginé une force vitale et on l'a cherchée sans jamais la trouver. La vie est un processus, une auto-organisation de la matière. Si on peut envisager d'étudier le/les processus et l'émergence d'une auto-organisation présentant un certain nombre de caractéristiques essentielles, c'est sans doute un leurre de vouloir définir l'idée abstraite de vie. De nombreux scientifiques, qu'ils soient biologistes,médecins, physiciens ou philosophes se sont essayés à ce petit jeu, sans jamais y parvenir.
Pour exemple nous pouvons citer celle proposée par Bichat :
La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort
Cette définition est vitaliste et aussi belle soit-elle, elle ne répond pas à la question. C'est donc du coté des propriétés qu'il faut se pencher et là encore différents points de vues apparaissent. Comme Jean-Philippe Rennard le propose dans son livre vie artificielle 1, nous allons reprendre les approches ayant le plus influencé le domaine.
La thermodynamique de la vie
Schrödinger lorsqu'il s'est intéressé à définir la vie2 du point de vue d'un physicien, à mis en avant le déséquilibre thermodynamique permanent qui caractérise le vivant. Il a également constaté que les systèmes vivants n'étaient pas des systèmes fermés (isolés), car ces derniers convergent irrémédiablement vers l’équilibre thermodynamique. L’énergie ne peut que se disperser à l’intérieur du système. On traduit cela en disant que l’entropie du système ne peut qu’augmenter. Lorsque cette entropie atteint la valeur maximale compatible avec les contraintes imposées, l’évolution cesse. Il y a équilibre thermodynamique.
Au contraire un organisme vivant se nourrit d'entropie et la rejette ! Ces derniers subsistent par un apport continu d'énergie.
Ilya Prigogine s'est intéressé aux systèmes thermodynamiques ouverts, hors d'équilibre traversé par des flux d'énergie3. Il a constaté que ce dernier permettait à de tels systèmes de conserver au moins temporellement une structure semblable à elle-même, on parle dans ce cas d'homéostasie. Pour illustrer cela on peut penser aux tourbillons dans un liquide, une vague poussée par le vent ou encore à l'exemple classique des cellules de Bénard.
Les systèmes vivants correspondent à cette description. La nourriture constituant le flux d'énergie. La vie peut donc s'interpréter comme une structure dissipative.
Un ensemble de propriétés
Jacques Monod dans le hasard et la nécessité4 propose trois propriétés fondamentales qui caractérisent les êtres vivants :
- l'invariance, ils ont le pouvoir de reproduire et de transmettre l’information correspondant à leur propre structure.
- l'autonomie du processus de morphogenèse ;
- la téléonomie : propriété qu’ont tous les êtres vivants « d’être des objets doués d’un projet qu’à la fois ils représentent dans leurs structures et accomplissent par leurs performances.
Il en résulte que :
Le projet téléonomique essentiel [consiste] dans la transmission, d'une génération à l'autre, du contenu d'invariance caractéristique de l'espèce4. (J. Monod)
Si Jacques Monod rejette le coté finaliste du vivant, il admet néanmoins le caractère téléonomique des êtres vivants en particulier dans le fait qu'ils réalisent un projet. Tentant de définir la vie, il se trouve alors en contradiction avec son postulat d'objectivité qui doit être pour lui le principe fondateur de toute démarche scientifique. Il le définit comme le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales c'est-à-dire de « projet » ! Au travers de son ouvrage, il tente alors de « sauver » la biologie en tant que science objective. Il affronte, ce paradoxe que certaines disciplines scientifiques rencontrent qui consiste à ne pas être en mesure de définir rationnellement leur objet scientifique.
Une autre définition retient souvent l'attention, il s'agit de celle proposée par J.D. Farmer et Alleta d'A Belin5. Ils retiennent huit critères :
- La vie est une organisation - ils parlent de pattern - qui s'inscrit dans l'espace-temps, plutôt qu'un matériel spécifique. Par exemple, la plupart de nos cellules sont remplacées en permanence durant notre vie. C'est la structure et les relations qui sont importantes et non les atomes qui nous constituent.
- L'auto-reproduction, ou tout du moins des organismes en relation directe. Pour clarifier ce dernier point, ils évoquent les mulets qui ne sont pas capables de se reproduire mais sont bien des êtres vivants.
- Les organismes vivants contiennent une représentation d'eux-mêmes. L'ADN en est une illustration.
- Un métabolisme qui entretient l'organisation à partir de la matière et l'énergie disponibles dans l'environnement. Quelques organismes vivants, comme les virus, n'ont pas leur propre métabolisme, mais utilise celui d'autres organismes.
- Des interactions fonctionnelles avec l'environnement. Un organisme vivant peut répondre ou anticiper à des changements de/dans l'environnement. Les êtres vivants créent et contrôlent leur propre environnement interne.
- L'interdépendance des parties. Les composants d'un système vivant dépendent les uns des autres pour préserver l’identité de l'organisme. Une des caractéristique est la capacité de mourir ! Si vous casser un rocher en deux cela reste un rocher, dans le cas d'un être vivant ......
- La stabilité face à des perturbations dans l'environnement.
- La capacité d'évoluer. Ce n'est pas pas une propriété de l'individu, mais de la lignée.
Certes ces critères ne couvrent pas la totalité du vivant, on pense par exemple aux virus (SRAS, HIV, Ebola, Grippe saisonnière ou aviaire, etc.). Les virus ne possèdent pas un métabolisme et s'ils se reproduisent ce n'est pas au sens habituel du terme. Ils ne construisent pas de nouveaux exemplaires à partir de leur matériel génétique. Ce problème est souvent laissé de coté en considérant le fait qu'il existe une continuité entre l'inerte et le vivant.
Si la notion de vivant est dans les faits très difficile à définir, néanmoins retenons qu'un être vivant suit trois grands principes : phylogénétique, ontogénétique et épigénétique.
- Phylogénétique : le matériel génétique peut se transformer et donner naissance à des descendants différents.
- Ontogénétique : capacité de croître par division et différenciation cellulaire à partir d’une cellule souche.
- Epigénétique : en un mot, nous n’héritons pas seulement de nos gènes (de l’ADN), des caractères acquis sous l’influence de l’environnement se transmettent eux aussi. Les modifications transmissibles et réversibles portent sur l’expression des gènes.
L'autopoïèse
Varela et Maturana, ont inventé le mot “autopoïèse”, du grec autos (soi) et poiein (produire) pour illustrer la notion d'organisation circulaire. Pour en donner une définition, il est sans doute plus simple de laisser la parole à Varela6 :
"Un système autopoiétique est organisé comme un réseau de processus de production de composants qui (a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et qui (b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau. Il s’ensuit qu’une machine autopoiétique engendre et spécifie continuellement sa propre organisation. Elle accomplit ce processus incessant de remplacement de ses composants, parce qu’elle est continuellement soumise à des perturbations externes, et constamment forcée de compenser ces perturbations. Ainsi, une machine autopoiétique est un système … à relations stables dont l’invariant fondamental est sa propre organisation (le réseau de relations qui la définit).”
L'autopoïèse serait donc à l'origine des êtres vivants et si une machine est autooiètique alors elle est vivante d'après les auteurs.
Puisque le débat n'est pas clos, risquons nous dans le cadre de ce cours à tenter de cerner les contours de cette notion qu'est la vie.
La vie en master 1 !
S'il faut résumer et donner un point de vue, pour nous guider vers une "vie articielle".
Un système vivant est bien évidemment un système dissipatif et on peut dégager trois conditions nécessaires :
- un modèle d’organisation : configuration des relations qui déterminent les caractéristiques essentielles du système ;
- une structure : matérialisation du modèle d’organisation ;
- un processus : activité qui permet au modèle de se matérialiser dans la structure.
Ce ne sont que des conditions nécessaires, elles ne suffisent pas pour caractériser un système vivant, on y ajoute au moins l’hypothèse de l’autopoïèse ou le modèle d’organisation d’un système vivant. Chaque composant a pour fonction de participer à la production ou la transformation des autres composants du réseau, ils s’autoproduisent de façon continue. De plus, certains des composants constituent la clôture opérationnelle formant une frontière qui circonscrit le système, définissant le «quant-à-soi» (le dedans du dehors), tout en participant à son auto-production. Les rapports dynamiques d’un système vivant avec son environnement constituent son couplage structurel.
Un système vivant est tout à la fois fermé et ouvert, clos sur le plan de l’organisation, ouvert par rapport à l’environnement. Le flux d’énergie et de matière est essentiel au maintien de l’organisation et à la régénération continuelle de la structure. Ainsi ce qui dure c’est le modèle d’organisation, par contre sa matérialisation n’a qu’une durée de vie très limitée.
Notre définition d’un système vivant est donc :
un système autopoïétique dissipatif, dont la vie est l’une des propriétés émergentes.
Terminons sur l’exemple de la cellule qui est sans conteste un système vivant. Elle présente un ensemble de composants, les nutriments, les organelles et le noyau, qui matérialisent sa structure. Au sein d’une cellule, de multiples molécules interagissent perpétuellement. Toutes ces molécules participent à des réactions biochimiques, transformant des molécules en d’autres molécules ou construisant des édifices moléculaires plus vastes. Ces interactions se font suivant le modèle d’organisation et le métabolisme cellulaire constitue le processus. La membrane effectue la clôture et participe aux interactions au même titre que les autres composants et contribue à la production de la cellule toute entière.
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Jean-Philippe Rennard. (2002) Vie artificielle où La biologie rencontre l’informatique: illustré avec Java. Paris: Vuibert
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Erwin Schrödinger. (1993) Qu’est-ce que la vie?: de la physique à la biologie
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Ilia Prigogine et Isabelle Stengers. (1996) La fin des certitudes: temps, chaos et les lois de la nature. Paris: Editions O. Jacob
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Jacques Monod. (2014) Le hasard et la nécessité: essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne
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J.D. Farmer et A. d'A. Belin . (1992) Artificial Life: The Coming Evolution
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Francisco Varela. (1989) Autonomie et connaissance: essai sur le vivant. Paris: Seuil